Géante de la chanson

Le Monde consacre un volume de sa collection "Les géants de la chanson" à Nana Mouskouri.

Dotée d'une voix et d'une volonté hors norme, la chanteuse grecque va conquérir une immense popularité dans plusieurs langues à la fois - un cas unique. 

Peu de chanteuses en Europe ont un statut comparable à celui de Nana Mouskouri. En France, on la considère comme une artiste française, en Allemagne comme une Allemande, en Grande-Bretagne comme une anglophone de la plus pure eau. Et, partout, on sait qu'elle est grecque. 

Pour les caricaturistes à l'inspiration sommaire, elle se résume à des lunettes de myope et des cheveux raides. Mais elle incarne une sorte d'identité européenne, contemporaine de la construction de l'Union. 

S'il faut chercher un symbole de la culture populaire à l'échelle européenne, on se tourne naturellement vers elle, citoyenne grecque chantant en plusieurs langues. 

Ce n'est pas un hasard qu'elle soit même devenue une des voix officielles du continent, puisqu'elle a enregistré l'hymne de l'Union européenne. Avec son romantisme sans ivresse exagérée, ses élégances de "lounge" destinées au grand public, sa passion des mélodies généreuses, son goût des transpositions transculturelles, Nana Mouskouri est une des rares personnalités parvenues à incarner une identité musicale dépassant les frontières de langue et de culture en Europe. 

Elle chante notre traditionnel V'là l'bon vent avec beaucoup de bouzouki ou Aranjuez en allemand, toujours à l' intersection de plusieurs identités musicales. Le sentiment est limpide mais légèrement retenu, le paysage se refuse au relief et au grain de chaque culture singulière, mais se tient dans un entre-deux qui partout séduit et enchante.

Cette manière de neutralité vocale dans l'exécution préserve surtout Nana Mouskouri de singer l'Amérique, même si ses disques et ses tournées y triomphent. 

Elle ne se contente pas de se refuser tout autre espace esthétique que l'Europe. Il semble que tous ses enregistrements, du crépuscule des années 1950 à aujourd'hui, datent de la même époque. Il faut chercher avec soin les incursions de la mode dans son travail [...]

Pas de pathos, donc. Sans rage, sans violence, sans malaise, Nana Mouskouri traverse époques et cultures avec la même sereine solennité, la même fermeté dans les intentions expressives. Et elle peut laisser aux mémoires des standards immortels (L'Enfant au tambour, Soleil soleil, Quand tu chantes... ) comme accomplir le prodige des neuf minutes du Ciel est noir, adaptation de A Hard Rain's A-Gonna Fall de Bob Dylan, ou se tourner vers les grands airs du répertoire classique - Toi qui t'en vas sur un air de Bellini, la Habanera du Carmen de Bizet, le choeur des esclaves de Nabucco de Verdi devenu Je chante avec toi liberté...

 

Artwork : Universal
@ PhB, 6 oct. 2017